Encore sous le choc de la rencontre de Jean Bon, le nouvel acolyte d’Alex, Bérangère n’arrivait pas à débarrasser ses capteurs olfactifs logés au fond de ses narines des particules malodorantes de ce grand dadais aux yeux de merlans frits. Pendant qu’elle cherchait son Shalimar au fond de son sac, Malice crachait dans tous les sens en sacrant comme un charretier.
- S’tie de câlisse ! Ce pachyderme sent le cochon brûlé. On est tous en péril juste à survivre à son odeur. Va en falloir des poches d’oignons et de la moutarde forte pour masquer sa présence dans tous les sens. Alex n’est pas au bout de ses peines avec ce navet terreux à ses côtés.
- Tu vas te taire ! J’ai encore la nausée, inutile d’en remettre. Alexandre saura se débrouiller. À ce que je sache, il n’est pas né de la dernière pluie. C’est le meilleur agent du côté de la France. Oublie cet éléphant rose. Pour l’instant, en route vers Milan où, on nous attend. Impossible de me soustraire à ce moment grandiose. Ce soir, le célèbre Fashion Show de l’année ! Tout le gratin du jet set de la mode sera présent chez Valentino Ferrariramor, notre célèbre couturier récipiendaire du Dé d’Or 2013 qui saisit cette occasion pour sortir du placard. Luigi compte sur moi pour être le témoin de leur mariage qui se fera en grandes pompes au chic Hôtel Bulgari Milano.
- Quoi ! Luigi est gai ? Tu le savais et tu étais l’épouse d’un mec à voile et à vapeur !
- Ben, te voilà bien piégée ma belle. T’as vu ton bel Étienne ? Il faisait la cour à la jeune nièce de Mademoiselle Fifi pendant la réunion de la TEF? Ton Luigi est gai et ton Étienne n’est qu’un coureur de jupon. J’aurais bien dû me faire son Quentin à la Fifi !
- Malice ! Je t’ordonne de tenir ta misérable langue dans ta poche ! Si tu touches à une seule plume de Quentin, collaborateur à la TEF pareillement à toi, je te fais dégriffer à froid. C’est quoi ton problème avec les gais ? T’es qu’un chat cabotin, borné, pis un emmerdeur macho. Considère ta chance que je ne te rapporte pas à Thémis. Quant à Luigi et moi, nous sommes de proches amis depuis notre enfance. Sa mère, Antonella Mazzini et son père Guissepe Rigatoni, n’auraient jamais toléré un fils gai. Pour lui éviter d’être jeté à la rue et déshérité, on a joué les amoureux. Ses parents sont décédés depuis plus de quatre ans déjà. Si Luigi est heureux de se marier avec Valentino, je suis heureuse pour mon ami. Encore mieux, j’en aurai deux. Quant à toi, je te conseille de te la fermer plutôt que de dire des bêtises. Finalement, je crois qu’Alex est mieux équipé que moi avec son Jean Bon ! Grouille. Monte dans la limousine.
- Là, tu exagères Bérangère de Bellemore ! J’t’aime plus…
Blessé profondément, Malice s’enfuit pour cacher sa peine. Sous les balcons d’une pizzeria miteuse du boulevard Saint-Laurent à Montréal, il demeure tapi dans la noirceur. Bérangère regrette déjà les dures paroles lancées à son vaillant Malice. Dans l’énervement des derniers moments, elle a dépassé les bornes. L’oreille est le chemin du cœur, comment a-t-elle oublié cette maxime ? Pire, elle ne sait pas dans quelle direction son brave chat pitre s’en est allé. Elle-même au bord des larmes, elle le supplie de revenir.
- Malice, pardonne-moi ! Reviens. Je m’excuse.
Silence. Aucune réponse à son appel.
- Sois gentil Malice, je t’en prie. J’ai eu tort et je suis chanceuse de t’avoir auprès de moi. On n’va pas se faire de la peine pour un gros Jean Bon qui sent pas bon. Ne fais pas le con. Y’a que les oiseaux qui se cachent pour mourir. Même en courant plus vite que le vent, je n’aurais pas le temps, pas le temps de te retrouver pour être à temps à Milan.
Rien. Un silence de mort sur la tombe.
- Nom d’un chien Malice ! Je ne renierai pas ma patrie. It’s now or never ! Je sors l’oignon du Pacha.
En reculant l’aiguille des secondes, Bérangère se retrouve sous un vieux balcon puant les moisissures et quoi d’autre encore ? Malice en pleurs dans ses bras, elle à quatre pattes se demandant comment sortir de cette disgracieuse position ? Étienne armé d’une barre à clou arrache sans précaution les planches de bois pour créer l’espace nécessaire afin de sortir Bérangère de ce sale trou sur la Main de Montréal.
Sur le trottoir, un vieux robineux édenté s’écrie en riant à bouche béante :
- Chu tu viré fou ? J’ai jamais vu une put’ faire le tapin d’sous c’te balcon. Outrée, Bérangère lui assène un violent coup de Gucci dans les côtes. Au galop, le trio court vers la limousine rose barbe à papa. Derrière le volant, le garde du corps démarre en trombe sur les chapeaux de roue. Direction : le Falcon X7 vers Milan.
Après avoir fait trempette sous la douche et les savons parfumés, Bérangère et Malice en sortent propres et pimpants. Étienne s’empresse de sécher et de coiffer les cheveux de sa patronne. Ce soir, elle portera une création exclusive signée Feu Sauvage de Valentino.
À suivre
Marie Louve